LES GENS D'ICI
JOSÉ ROMAN





José ROMAN ? ça vous dit quelque chose ? notre stade porte son nom !

Qui ne l'a pas croisé dans les rues de Saint Laurent de Mure, accompagné de son fidèle chien et partant faire une balade à pied ?.. un personnage.... et nous allons essayer de vous raconter un peu de son histoire.

Il est né dans cette « aimée et souffrante Algérie à Aïn-Témouchent exactement, une ville située à mi-distance entre Oran et Tlemcen ».  Issu d’une famille nombreuse, quatre filles et trois garçons, ils vivaient en Algérie assez chichement grâce à la vente de lait que produisait un petit troupeau de chèvres…

Comme cela se faisait à l’époque, en France aussi d’ailleurs, les filles dès qu’elles furent assez grandes, furent placées comme femme de ménage dans des familles fortunées : leur salaire permit à la famille d’améliorer le quotidien.

Mais sa vie n’a pas été un long fleuve tranquille : à l’âge de huit ans, son père quitte sa mère, laissant toute la maisonnée complètement désemparée ! et à l’époque, pas d’allocations familiales en Algérie, ni aide d’aucune sorte !

Sa maman courage ne baissa pourtant pas les bras : elle acheta une patente afin de créer une petite activité de pâtisserie oranaise ambulante ! Elle fabriquait elle-même ses produits qu’elle faisait cuire tout simplement dans un four banal….

« Les anciens originaires de ma ville natale se souviendront… de cette petite femme courageuse, un peu rabougrie, toujours de noir vêtue, qui poussait son charreton pour vendre sa marchandise sur le marché ou à l’entrée de l’hôpital de la ville… »…

Une enfance difficile donc qui le marqua pour le reste de sa vie…

 La famille de José Roman était espagnole. Ils avaient immigré en Algérie au début du siècle : côté paternel, ils avaient travaillé comme ouvriers agricoles près d’une localité du nom de Gaston-Doumergue (Oued Berkeche  aujourd’hui) et du côté maternel, ses grands-parents avaient pu obtenir un petit lopin de terre en concession où ils s’adonnaient à la culture de fruits et légumes pour les vendre ensuite sur les marchés.

A la maison, on parlait donc espagnol ! D’où la difficulté pour lui de se retrouver en classe au cours préparatoire où le français était la langue officielle… dans les rues, le langage était plutôt un mélange d’arabe-espagnol-français, langue internationale en quelque sorte parlée par les enfants de tous horizons qui jouaient ensemble.

Malheureusement, même s’il se débrouille finalement plutôt bien à l’école, le dénuement de la famille l’oblige à abandonner ses études pour aller travailler à l’âge de 12 ans !

Il réussit donc à se faire embaucher comme travailleur agricole dans un domaine à la fois viticole, céréalier, fruitier et vivrier.  A cette époque bien sûr, il n’existait aucune règlementation pour le travail des enfants, ce qui veut dire que chaque « patron » avait sa propre loi, ses propres règles quant au salaire, conditions de travail, durée de travail… et il n’était pas rare qu’à la moindre broutille, le salaire de la journée était supprimé ou bien les coups de cravache et de ceinturon par le gérant ou le surveillant pleuvaient !!

José Roman a travaillé un an dans ce contexte : « J’y ai mis un terme après avoir été victime de violences physiques de la part d’un commis européen, trapu, un cou de taureau, fort comme un Turc, qui vous glaçait le sang quand il vous fixait dans les yeux…il m’administra la correction de ma vie : gifles, coups de pied, coups de pied, gifles se mirent à pleuvoir. J’étais encore un enfant. Cris, pleurs, douleur, rien n’y fit…. »

Après cet épisode de maltraitance, José Roman quitte la ferme et pendant quelques mois aide sa mère à la confection des pâtisseries qu’elle revendait. Deux à trois fois par semaine, il prenait le train, accompagné par son jeune frère, en direction de Rio Salado, Er-Rahel ou Lourmel, avec sous le bras son panier en osier plein de gâteaux.. mais la guerre éclate en 1939. C’est à ce moment-là qu’il rejoint sa sœur Isabelle installée à Oran pour devenir : porteur d’eau douce…

L’eau saumâtre qui coulait des robinets de la ville était inutilisable pour les biberons des bébés : une niche commerciale était née et  très vite les marchands d’eau douce fleurirent à Oran. Cette eau, José allait la chercher à la périphérie de la ville, où des bonbonnes étaient chargées dans une charrette tirée par des chevaux. Mais ensuite, il fallait livrer cette eau : « souvent gravir deux , trois ou quatre étages avec dix, quinze ou vingt kilos sur les épaules » comme le disait José. La faim et la fatigue n’arrangeaient donc rien.. Même si le patron et son épouse faisaient leur possible, ils avaient déjà 5 enfants à nourrir, plus José et son frère, et entre le rationnement et la guerre, la vie était très dure pour des enfants de cet âge…

La maison de son employeur était à côté du « patronage de Don Bosco », et les deux garçons y allaient volontiers le dimanche pour écouter la messe, jouer au basket ou même assister  à une pièce de théâtre. C’est ainsi qu’ils lièrent amitié avec Le père Perelle et le frère Fonclerc qui eurent pitié d’eux, les voyant si pauvrement vêtus…

 Situées à côté du patronage, des religieuses cherchaient un « homme de peine » et on proposa la place à José : il avait 17 ans …Il fut engagé et sa vie changea du tout au tout : un logement sain, une nourriture correcte, des vêtements dignes de ce nom… quoi demander de plus ! Grâce au contexte dans lequel il vivait, aux encouragements et soutien de ces hommes d’église et des religieuses , il reprit le chemin de l’école.

A 19 ans, il a voulu tenter une expérience de vie religieuse dans une communauté à Alger : c’est là qu’il eu des cours de latin, des leçons de dissertation française, tout en assurant la propreté des locaux, les achats du quotidien, l’aide à la cuisine et l’entretien du jardin. Puis ce fut le moment du service militaire et à son retour, il voulu reprendre ses études là où il s’en était arrêté.

Grâce aux dons généreux et au soutien financier d’une dame immensément riche, José parti à St Jean-les-deux-Jumeaux en Seine et Marne, et il n’oubliera jamais non plus celle qui l’avait habillé pour sa première communion, n’ayant rien à se mettre sur le dos . José raconte : « c’est grâce à ces deux braves femmes qu’il m’arrive de ne jamais avoir de mépris pour les personnes fortunées » …

De retour en Algérie après ses études, il s’installe à Tlemcen, qu’on surnomme « la perle du Maghreb ». Il commence par un petit emploi de magasinier, tout en tentant deux ans après le concours d’entrée dans la police, qu’il réussi. Et le voilà nommé à Tiaret, dans les hauts plateaux oranais : « c’est là que ma vie sociale a changé radicalement. Du jour au lendemain, je me suis retrouvé avec un salaire double de celui que je percevais jusque là »…

Et comme un bonheur n’arrive jamais seul, il rencontre Claudette, sa première épouse : de cette union naquirent deux filles Marie-Claude et Brigitte. Malheureusement, pour son troisième enfant, le malheur arriva. Claudette et son bébé « entrèrent dans l’éternité de Dieu », un traumatisme plus dévastateur encore que ceux qu’il avaient vécu dans l’enfance et qui, plus que tous les autres, le marqueront à jamais…

1er novembre 1954 : La guerre d’Algérie éclate et se poursuivra jusqu’au 19 mars 1962 ! Petit rappel :  Cette guerre est surtout due au refus des gouvernements français et des colons de supprimer ou du moins remettre en cause les profondes inégalités civiles, politiques et économiques entre la population d'origine européenne (les colons ou « pieds noirs » installés par vagues successives depuis 1830) et la population arabo-berbère de religion musulmane.

L’Algérie (qui était alors un territoire français divisé en départements), mais aussi la France métropolitaine (avec de nombreux attentats terroristes, assassinats et massacres de manifestants) ont été témoin de la folie des hommes !

Cette guerre a fait entre 1 000 000 et 1 500 000 morts. Elle a abouti, en 1962, à l'indépendance de l'Algérie et à l'exode d'environ un million de « pieds noirs ». Cela a abouti aussi à la disparition de  Quatrième République et son remplacement par la Cinquième République.

José a été témoin de cette guerre atroce qui le marqua à jamais, comme tous ceux qui l’ont vécue ! Après ces années difficiles,il est muté au commissariat de police de Liévin dans le Pasde calais…

Extrait du documentaire "La Déchirure", 2012 (Benjamin Stora)


José est donc muté au commissariat de police de Liévin dans le Pas de calais… L’organisation de son travail et la charge de ses deux filles n’est pas toujours simple… Il fait la connaissance de Marcelle Pointu, qui deviendra sa seconde épouse, et qui mettra au monde « trois grands et beaux garçons »… Ils se marient à Decize dans la Nièvre.. Très fier de ses enfants, ses deux filles sont d’après ses dires « devenues de bonnes et honorables mères de famille » et ses garçons ont trouvé leur voie professionnelle.

 Il termine sa carrière comme officier de paix à Lyon, et le voici ensuite qui vient s’installer non loin, dans notre village de Saint Laurent de Mure… Et c’est là qu’il poursuit paisiblement sa vie avec son épouse.

Et puis un jour… un projet qui lui trotte dans la tête depuis plusieurs mois voit le jour : il cherche un compagnon de route, mais les deux personnes qui se sont manifestées, découvrant plus précisément ce projet, se sont désistés. Un projet incroyable : à travers son histoire et ses rencontres, José est un croyant pratiquant et fervent. Il est aussi un sportif accompli n’hésitant pas à participer au Cross du Figaro à Paris, au cross de l’Eçaguier à Lyon, aux 6 heures à la marche de Valencin, ou bien à gravir le Mont Blanc avec son fils Jean-Marc…

 Après donc avoir fait de nombreuses courses en montagne, ascensions sur glaciers, deux pèlerinages à Saint Jacques de Compostelle (à 65 ans et 67 ans), il décide donc de partir marcher sur les pas de Jésus, et de faire Lyon-Jérusalem à pied !!!

D’après vous, combien de kilomètres ??? 6 000 kms à pied ! 

 Voici donc José, fin mai 1994,  à l’aube de ses 70 ans, prenant le départ du restaurant lyonnais que tient son fils,  accompagné de Diva, la chienne que lui a confiée sa fille Brigitte, sans doute inquiète de le voir partir seul, sur les routes de France, d’Italie, de Grèce, de Turquie, de Syrie, de Jordanie puis d’Israël, poussé par sa foi et sa volonté inébranlable d’atteindre Jérusalem !

«Pèlerin de Jérusalem. » ce sont les mots que José Roman a choisi de faire figurer immédiatement après son nom. Comme si ces trois mots étaient ceux qui le qualifient le mieux.

Nombreux sont ceux qui rêvent d'accomplir ce pèlerinage, de rejoindre Jérusalem. José ROMAN l'a fait dans la plus grande simplicité, à la dure.

« Se tenir debout, mettre un pied devant l’autre, marcher, marcher encore, viser un but, le programmer dans sa tête, l’atteindre… C’est un homme » : une belle dédicace du maire de l’époque, Didier Sondaz.

Il a relaté son chemin dans un livre, il a animé des conférences, fait des vidéos : un homme humble, un homme de foi, qui a raconté  à travers ce texte émouvant, qu'accueil et confraternité peuvent toujours coexister malgré les différentes croyances, comme il l’a expérimenté durant ce voyage exceptionnel !

Voilà pourquoi il méritait amplement que notre village lui fasse un clin d’œil et que notre stade porte son nom !


 Source : De  Lyon à Jérusalem à pied - José Roman








 

 


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